L'angoisse du non-sens et la légitimation par le sens

« Ça n'a aucun sens !» : la critique fuse comme de l'autocensure ; et le constructeur de se rabattre sur ce qui a quelque chance, pense-t-il, d'avoir un avenir, d'être reconnu. Pari parfois gagné contre la catastrophe, pari perdu de celui qui ne prend pas de risque de marginalisation. Si le processus n'était que social, sa force serait moindre : il est de l'ordre de la règle. Le projet élu est donc porté par la conviction, contre l'inacceptable qui n'affleure que dans la timidité.

L'école des sens et du sens commence par un principe d'ignorance et de refoulement de ce qui se fait. Le n'importe quoi – que Boris Vian complète par autant que possible – n'est pas à la porté du suiveur : difficile de faire n'importe quoi, autrement dit de repéré autre chose que du convenable dans le trajet à entreprendre et effectué.

Si l'angoisse tient à l'incertitude sinon à l'absence d'habilitation par la règle, l'éducation artistique a du soucis à se faire. Les injonctions de l'éducateur à produire du sens parviennent difficilement à ignorer les faits et les choses telles qu'elles font. Car, passé le moment où les brides sont relâchées, les expressions au maximum, il n'y a que l'arbitraire de l'art, cet indiscutable, pour faire admettre et se persuader soi-même que tout est recevable puisque chacun comble comme il veut l'absence de sens. Le sens critique n'est pas ce qu'on cultive : la visée du « positif » obnubile au détriment d'une sérénité de l'analyse. D'ailleurs les enjeux posés par la mission des établissements scolaires ne sont pas censés être importants – ça ne vaut pas la peine de s'énerver – .

Que le gribouillis parvienne à produire du sens, chacun s'y accorde, mais lequel ? Celui de l'image ? – J'y vois tel objet ou tel symbole – , de la pensée non logique ? – ça dit quelque chose –, de l'histoire du révolté ? – Il est en progrès, il est plus autonome –, de l'expression du refus de l'interdit ? – Il prend confiance –.

Une autre légitimité reste dans l'ombre ; une légitimation serait à promouvoir, sans laquelle aucune satisfaction, – certes, toujours relative – ne peut contribuer à la formation de l'homme libre : celle qui se rapporte aux conditions du faire. Car fondamentalement la technique est inefficace et ce n'est pas l'attention qui pourra empêcher que la technique finisse par produire ce qu'on n'a pas voulu. Cette attention, confondue ordinairement avec l'application, qui éventuellement met en faute, est à resituer dans l'ordre de la réalité du faire. Ce qui légitime le non-sens c'est que la technique, même lorsqu'elle est écriture, ne gère pas le sens, et il faut toute l'attention du constructeur pour la faire aller dans ce sens.

Ce qui est à repérer, c'est que le technicien, pour passer à l'action, se fait agent passif de dispositifs qui l'agissent, lui facilitant ainsi l'ouvrage. Certes, l'attention vient à son secours, mais il ne s'agit pas de la maîtrise morale de la conduite : bien faire est une visée étrangère à la conduite ; elle est comportementale. L'attention dont il s'agit consiste simplement à mettre en rapport un moyen avec une fin et non à mettre le prix à payer pour parvenir au bien, telle que l'on procède par application.

 

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