Il ne s'agit pas de schizotechnie, de paraphrénie(Jean-Luc Brackelaire¹), mais d'une schizée constitutive de la capacité d'outil, désinvestie de l'action².

Il y a à considérer cet outillage désaffecté en attente du moment de production comme l'infinitif grammatical du verbe : la diversité des ouvrages probable est infinie et cependant tout n'est pas possible, une direction de travail est déjà là. Cette indétermination relative situe le constructeur : un être de finalité restreinte et de pouvoir magique. Il détient par le matériel mis à sa disposition plus que des pouvoirs techniques, il a déjà anticipé sur ce qu'il obtiendra mais finalement il obtient une production qui lui renvoie l'écart de son « impouvoir » (Jean-François Lyotard).

Les moyens et les fins détachés de l'action ne sont plus totalement séparés de la production : ils donnent à voir un hors d'oeuvre : hors d'oeuvre du matériau et de l'engin, hors d'oeuvre de la tâche et de la machine.

Hors d'oeuvre du matériau : ce tas qui n'a rien à faire là où le camion a benné, là où le sable s'est déversé. Un pouvoir de liquidité embarrassant...Une expansion dunaire où toutes les matières retournent à un état supposé de dédifférenciation primitive.

Hors d'oeuvre de l'engin : ce couteau plongé dans un verre d'eau (Richard Diebenkorn), ce pinceau qui voisine avec un écrou. Un ustensile dont on ne sait que faire...Interrogations sans fin quant aux motifs de violence contenue, de « nolonté » de fixation de l'instant.

Hors d'oeuvre de la tâche : près du clavier où la frappe agit, sur le même plan de travail, ce fragment de ruban qui produit une forme de « C », protection détachée de ruban adhésif. Une lettre perdue... Magiquement : la touche, prémisse d'un morcellement jusqu'à la dédifférenciation, la désindividualisation du monde, le plan, probable écrasement des volumes, pratique engagée vers l'inconsistance du réel.

Hors d'oeuvre de la machine : la luminosité de la tablette qui la présente et présente le visage de celui qui la tient. Gadget ou fonction...Le divertissement du rapport à la complexité machinique, l'investissement du robocop, de la bionique, de l'homme magiquement augmenté.

L'inutilité saute aux yeux et tout de suite le constructeur l'utilise, inefficacité utile quand bien même elle entretient l'illusion d'un ailleurs de l'espace-temps.

 

1Jean-Luc BRACKELAIRE, La personne et la société, 1995, De Boeck,

notamment, Principes et changements de l'identité et de la responsabilité

 

 

 

2L'expositionLes Machines Célibatairesorganisée en 1976 au musée des arts décoratifs par H.Szeemann et les éléments de définition donnés par Michel Carrouges dansLes Machines Célibataireschez Arcanes en 1954 permettent de cristalliser ce point d'un fonctionnement à vide de la machine, sorte de manifestation artistique d'une schizotechnie.

 

 

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