Quand faire, c'est faire

Indépendamment du vouloir faire, l'organisation technique et l'action technique s'impose à la conduite de toute activité. C'est dire que l'art se moque de ce qu'on attend de l'art. Il ne peut être qu'instrumentalisé, réduit bien en deçà des possibilités qu'il comporte.

Un texte est écrit, par exemple : un clavier est mis en fonctionnement par 46 touches identiques et 31 variées, disponibles par frappe des doigts. La combinaison de plusieurs touches actionnées en même temps augmente les possibilités. Un programme d'écriture est géré par ordinateur qui ne connaît que les usages de l'orthographe, éventuellement ceux de l'expression grammaticalement correcte. Un curseur clignotant en forme de barre verticale signalise l'emplacement de la lettre à frapper. Il faut l'ignorance absolue de l'écriture en ses règles d'usage ou une force inventive singulière qui s'en départisse pour aboutir à du n'importe quoi. La valeur de l'éventuel résultat produit ainsi suppose que soit défini un autre projet que le lisible appréciable en tant que visible. L'art typographique dont Roland Barthes fait anthologiquement l'étalage est construit sans grande surprise sur cette indépendance gagnée de l'écrivain, du poète, du graphiste dans le rapport au langage.

On sait moins qu'une pathologie des troubles de la technique a été inventée par la collaboration d'un neurologue Olivier Sabouraud et d'un linguiste Jean Gagnepain qui vient complexifier les apraxies déjà complexes (motrices et idéatoires) que traite le service de neurologie de l'hôpital de La Salpètrière à Paris. La novation principale tient au fait que par défaillance constatée une capacité technique est mise à jour qui correspond à des traumatisés du cortex incapables de repérer le mode d'emploi ou la manutention spécifique de la chose ouvragée que le test propose. C'est dire que la culture technique est en nous indépendamment des savoirs techniques ; nous sommes d'emblée techniciens par notre humanité, homo faber comme homo sapiens sans que l'une des capacités d'art et de langage prenne le pas sur l'autre, sauf pathologiquement.

Il n'y a donc pas d'enfance de l'art et les apprentissages sont du même coup des rapports de constructeur à constructeur tous deux investis de la même capacité technique même si les compétences sont alors nettement déséquilibrées. Conséquence de cette conséquence, l'acte d'éducation artistique, s'il peut exister, fait de l'éducateur un agent d'art qui se doit de mettre en rapport au moins deux conjonctures, celle du réputé constructeur et celle du second constructeur qui n'est autre que l'exploitant présumé, car tous deux ont leur technique. Au final de cet échange, se produit dans ces conditions une reconnaissance d'une troisième conjoncture par modification des paramètres de chacun des techniciens mis en présence. Pas seulement du contenu, trajet produit, mais également des constructeurs et exploitants eux-mêmes, auxquels s'ajoute un environnement de production nouveau. Ces quatre paramètres sont posés par analogie avec ceux de Jakobson s'agissant de l'interlocution, ils ne positivent en rien le processus structural de la technique mis en action dans toute production. Ils tendent à clarifier un processus d'échange qui porte sur les choses ouvragées qui passent de mains en mains.

 

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